En aout 2023 est sorti le film Gran Turismo. Son pitch n’est pas le fruit du hasard : c’est celui de la GT Academy lancée en 2008. À cette époque, Nissan et PlayStation tentent un pari fou : faire d’un joueur de Gran Turismo un véritable pilote. Voici cette belle aventure dont j’ai eu la chance d’être un témoin privilégié “en vrai”.
Le jeu vidéo, c’est comme le cinéma : il y en a pour tous les goûts. Et évidemment, chacun a une préférence pour tel ou tel genre. Certains s’éclatent avec des jeux de plate-forme, d’autres sur des MMO, des FPS, ou encore des jeux d’aventure. En revanche il n’existe qu’un seul type de jeu (voire trois si on compte la voile et l’aviation) qui permet au virtuel de s’approcher du réel : les simulations de course. Elles peuvent mettre dans la même situation un joueur derrière son écran et un pilote automobile dans sa caisse… La notion de danger et de «g» en moins évidemment. En revanche, vous imaginez un joueur de FIFA devenir footballeur professionnel ? Ben non !
Pas plus qu’un pro de Call Of intégrer les forces spéciales. Alors qu’un joueur de Gran Turismo qui prendrait les commandes d’une voiture de course reproduirait finalement dans la réalité ce qu’il fait chez lui, installé dans un cockpit, derrière son volant. Depuis quelques années, les constructeurs de matériel l’ont d’ailleurs bien compris. La frontière entre un simulateur de course et une véritable voiture étant en effet devenue bien mince. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la plupart des équipes de course professionnelles possèdent des simulateurs pour que les vrais pilotes s’entraînent hors des meetings.
A voir : le matériel SimRacing des pilotes pros
Et c’est finalement avec cette idée “toute bête” que Darren Cox, directeur marketing chez Nissan France, imagine la GT Academy. Il pense ainsi à une collaboration avec PlayStation et son jeu phare Gran Turismo pour créer cette compétition européenne (elle deviendra plus tard internationale). Nous sommes alors en 2008. Et ce sont donc les joueurs de douze pays qui participent à la compétition sur Gran Turismo 5 Prologue. Un avant-goût du prochain GT 5 mais, surtout, le jeu dans lequel il est possible de télécharger la fameuse piste d’Eiger Nordwand (une spéciale en descente issue d’une map dans la montagne suisse) pour participer au concours. Pas moins de 25 000 joueurs téléchargent le mode GT Academy. Le principe est simple : faire le meilleur temps – sans aucune restriction du nombre de tentatives – avec une Nissan 350Z. La GT Academy est lancée !
La qualification virtuelle
À cette époque, je suis déjà journaliste de jeu vidéo et passionné de sport automobile. Il est logique, et même évident, que je tente ma chance pour cette première GT Academy ! Comme nous l’avons évoqué plus haut, nous sommes donc 25 000 joueurs. Chacun chez soi, les yeux rivés à notre écran de télévision, volant entre les mains, pour tenter de faire le tour le plus rapide afin de se classer parmi ceux qui seront retenu pour la finale française.
“Nous sommes alors en 2008 et ce sont donc les joueurs de douze pays qui participent à la
compétition sur GT5 Prologue.”
Pour rapidement se faire une idée du niveau de la concurrence, nous avons accès aux classements des autres pilotes en temps réel. Il est donc très facile de savoir où on se situe, non seulement parmi les joueurs Français, mais aussi au classement général européen. Oui j’ai passé quelques heures derrière le volant… et j’ai finalement réussi à me classer 22e. Problème, seuls les 20 premiers de chaque pays peuvent prétendre à la finale nationale. Mais comme parfois, la chance accorde ses faveurs aux esprits avertis (dont je suis visiblement), certains joueurs qualifiés ne pouvant pas se déplacer pour la finale m’ont du coup permis de remonter au classement et de « gagner » ma place.
Voilà donc enfin le jour J ! Et là, je comprends tout de suite l’enjeu de la GT Academy pour tous ces joueurs passionnés qui tiennent la chance de leur vie : devenir pilote professionnel ! Chacun d’eux a roulé des heures sur GT pour décrocher sa place. Mais la route va être encore très longue, chose que nous ignorons tous à cet instant. Je ne parviens pas à me classer dans les trois premiers, je termine à la 12e place si ma mémoire est bonne. Pour l’anecdote, en tant que journaliste, je n’ai de toute façon pas le droit d’accéder à l’étape suivante. La finale européenne va donc réunir les 3 meilleurs joueurs de chaque pays. Malgré ça, Sony m’invite à Silverstone, le cœur du sport automobile britannique pour, cette fois, couvrir l’événement.
Du matériel de plus en plus réel
Ce qui était possible en 2008 l’est encore plus de nos jours. En effet, en 14 ans, nous avons vu arriver des simulateurs de plus en plus développés. Il suffit de regarder le marché des volants et des cockpits de simracing pour comprendre qu’en 2022, beaucoup de joueurs veulent partager les vraies sensations d’un pilote de course dans leur salon.
Avec l’arrivée des volants Direct Drive et des pédaliers Load Cell, le marché a totalement explosé. Et l’on a même vu, durant la crise Covid, des pilotes de F1 comme Charles Leclerc (Ferrari), Lando Norris (McLaren) ou encore le champion du monde en titre Max Verstappen (Red Bull) se tirer la bourre en virtuel. Et on peut vous dire que ça roule très vite ! Preuve que la frontière entre le réel et le virtuel est de plus en plus mince.
Mais outre les accessoires, les jeux ont aussi énormément évolué dans le domaine. Des titres comme F1 23, iRacing, Assetto Corsa, Gran Turismo 7 ou encore rFactor 2 pour ne citer qu’eux, demandent aux meilleurs joueurs de comprendre la voiture pour ensuite être capable de la régler… donc de se rapprocher encore plus de la réalité. Pour un budget d’environ 2000€, vous pouvez prétendre à un vrai simulateur de course chez vous. Et si jamais vous avez la chance de faire un stage en monoplace ou en GT dans la réalité, vous allez voir que vous serez immédiatement dans le coup grâce à tous les tours que vous aurez effectués en virtuel !
Silverstone : le choc pour tous !
La GT Academy connaîtra huit éditions. Mais cette fameuse première, en 2008, en fera halluciner plus d’un, moi le premier, mais aussi et surtout les prétendants au titre ! Nous voici donc réunis au Racecamp de Silverstone. Et là, personne ne sait à quoi s’attendre. La seule chose que savent les candidats, c’est que ce camp d’entraînement va devenir leur maison le temps d’une petite semaine et que l’objectif ultime est de les faire passer du statut de pilote virtuel à celui de véritable pilote d’endurance. Et je peux vous dire que certains vont tomber de très haut !
« Nous voici donc réunis au Racecamp de Silverstone. Et là, personne ne sait à quoi s’attendre. »
Ne sachant pas moi-même quel est le programme des jours à venir, je comprends tout de même très vite que les choses sérieuses commencent. Il n’est déjà plus question de jeu vidéo : le but des organisateurs est de savoir si un joueur de Gran Turismo serait capable – et de faire en sorte qu’il le devienne – de prendre le volant d’une Nissan 350Z GT4 pour participer aux 24 Heures de Dubaï en janvier 2009, soit 5 mois plus tard. Imaginez un peu le stress des coachs sur place ! Cinq mois pour former un joueur PlayStation et l’aligner sur une course de 24 heures dans une vraie voiture, il ne faut pas se tromper !
Allez, c’est parti pour le jour 1 qui met direct tout le monde dans l’ambiance. Pour commencer, les participants passent des épreuves écrites. Puis vient le côté physique avec une batterie d’examens et des tests d’effort pour évaluer la condition physique de chacun.
Autant vous dire que le soir même, certains candidats, pourtant classés parmi les trois premiers de leur pays respectif, plient déjà bagages. Mais les choses ne s’arrêtent bien sûr pas là. Allez, jour 2 les gars ! Et il va falloir filer droit ! Ce sont cette fois des militaires de sa majesté qui prennent les commandes avec au programme un entraînement plus qu’intensif… Et là je me dis que finalement, couvrir l’événement en tant que journaliste me convient parfaitement !
Surtout quand je compte le nombre impressionnant de pompes que les pauvres candidats enchaînent. Et les pompes, c’est juste une mise en bouche. Au menu ensuite ? Course d’effort, parcours du combattant, etc. De quoi continuer à faire le tri et à en dégoûter plus d’un. Eh oui, parce que la GT Academy, c’est comme Koh Lanta : à la fin, il n’en restera qu’un !
Certains craquent littéralement, d’autres regrettent amèrement d’avoir séché les cours d’EPS au collège, mais beaucoup s’accrochent encore. Bon, cette fois les « survivants » l’ont mérité, ils s’installent enfin derrière un volant, tout courbaturés et fatigués qu’ils sont. Et nous ne sommes que le jour 3. Nos chers apprentis pilotes dévorent des yeux cette rutilante Nissan GT-R de plus de 500 ch, excités comme Karine Le Marchand au Salon de l’Agriculture. Et bah… raté les mecs ! Vous allez d’abord poser vos fesses endolories par le parcours du combattant dans un karting et prendre le départ d’une course d’endurance de 4 heures. Après ça, place à des tests en Nissan 350 Z avec un instructeur puis à quelques tours de monoplace…
Allez, nous vous épargnons la suite du programme. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’ils ne sont désormais plus que huit. Et ces huit-là ont toutes les raisons d’y croire puisqu’ils sont qualifiés pour la super finale. Parmi eux, cocorico, un Français : Arnaud Lacombe (cf. encadré). Et maintenant, ça ne rigole plus du tout (même si avant, ça n’était pas franchement la grosse poilade dans les rangs) : à chaque test, les moins bons sont éliminés.
Une sorte de mort subite qui verra finalement l’Espagnol Lucas Ordoñez, un étudiant en école de commerce, et l’Allemand Lars Schlömern, un chauffeur de taxi, décrocher le Graal. Pour les deux vainqueurs, la GT Academy démarre vraiment. Ils ont cinq mois pour passer de gamers à pilotes, du virtuel au réel. Le compte à rebours avant Dubaï est lancé. Les voilà dans les mains de leurs coachs qui doivent non seulement les mener sur la grille de départ, mais surtout faire en sorte qu’ils ne prennent pas 2 secondes au tour face aux professionnels de la discipline. Sacré challenge !
GT Academy : Pari réussi !
Les deux jeunes pilotes prennent ainsi part à un entraînement intensif. Mais souvenez-vous, Koh Lanta tout ça… À la fin, il n’en restera qu’un… Et Lucas s’avère plus performant et plus apte physiquement que Lars. L’Espagnol vient de décrocher son volant : il représentera la GT Academy à Dubaï aux côtés de Johnny Herbert (ex pilote F1), Alex Buncombe (un pilote de GT4 européen) et Rob Barff (l’instructeur de la GT Academy). Une course à laquelle ils terminent à la 45e place au classement général. Et à la 8e place de la série A5 (sur 17 concurrents). Mais surtout, pas d’accrochage pour le jeune Lucas et une belle régularité pour sa première épreuve.
Pas mal pour un rookie qui il y a cinq mois encore enquillait les tours sur sa PlayStation entre deux épisodes de Koh Lanta ! Et ça n’est que le début de l’aventure pour le « nouveau » pilote espagnol. Il participera ensuite 5 fois aux 24 heures du Mans avec une seconde place dans la catégorie LMP2 en 2011 et une participation en LMP1 (la catégorie reine) en 2015.
La boucle est bouclée, le challenge relevé ! La GT Academy durera jusqu’en 2016. Elle s’est ouverte au monde entier avec des compétitions en Europe, aux États-Unis, en Russie, au Proche-Orient, en Australie, en Inde et en Afrique du Sud, permettant de découvrir et de former de nouveaux talents chaque année. Pour Nissan et PlayStation, le pari est donc gagné ! Oui, un joueur de Gran Turismo peut devenir un pilote de course professionnel !
Les GT World Series
Certes, la GT Academy a disparu. Mais aujourd’hui c’est sur l’eSport que les choses se passent. Il ne s’agit plus de faire d’un joueur un véritable pilote mais de sacrer chaque année un champion du monde de Gran Turismo. Il suffit pour cela d’avoir le jeu et c’est reparti ! La finale mondiale se déroule tous les ans à Monaco au mois de novembre. On y retrouve les meilleurs joueurs de la
planète sur GT7… et un champion du monde de F1 ambassadeur du jeu !
Arnaud Lacombe
4eme de la première GT Academy aujourd’hui pilote officiel Thrustmaster.
Cette GT Academy 2008 est l’un des souvenirs les plus marquants de ma vie. Mais il y en a de très
bons comme de très mauvais. Pour tout passionné, vivre cette expérience sur un tracé aussi mythique que Silverstone est incroyable. Pouvoir piloter des voitures performantes sans être limité par le traditionnel moniteur qui vous empêche de pousser vos limites ou être coaché par un ancien pilote de F1 (Johnny Herbert) est un privilège accessible à peu de gens. J’ai également eu la chance de vivre ces moments avec un de mes frères, lui aussi qualifié pour ce Race Camp. J’avais 22 ans, 6 mois de permis de conduire seulement et aucune expérience sur circuit.
« C’était de la pure folie ! »
La pression était énorme en montant dans une 350Z en conduite à droite sans aucune aide au pilotage… Et sous la pluie, bien évidemment. Malheureusement il y avait bien d’autres aspects auxquels je n’étais pas préparé. L’aspect sportif notamment, les médias, la barrière de la langue. Toutes ces choses qui m’ont empêché de profiter de l’expérience lors des 2 premiers jours.
Par exemple, et pour ne citer que ça, nous avions un test physique consistant à effectuer un sprint sur un vélo pendant 1 minute pleine. Je peux vous dire que cette minute a été la plus longue de ma vie. Je ne tenais pas debout à la descente de la selle et ma vision était devenue entièrement verte ! Mais, pour reprendre les mots du psychologue responsable des participants, mon visage s’est allumé à la fin de ces 3 jours lorsque nous avons pu nous installer dans les baquets.
Au volant, je n’ai que de super souvenirs. Le 1er drift de ma vie sur une 350Z, le meilleur temps effectué sur une monoplace équivalente à une Formule Renault, un gymkhana avec une Caterham sacrément fun à piloter. Je réalisais mon rêve… tout simplement. Bien entendu, mon pire souvenir restera la défaite (au total de points). J’avais les capacités en tant que pilote puisque j’ai battu à la régulière (et à plusieurs reprises) les 2 gagnants de cette année-là. Une maigre consolation lorsque l’on doit regarder son Graal s’éloigner.