Guillemot, Thrustmaster : L’incroyable histoire d’un empire du Simracing

Même si vous n’êtes pas un grand fan de simulation automobile, vous connaissez sûrement Thrustmaster. Vous avez peut être déjà croisé un de leurs joysticks pour simulateurs de vol, leurs volants de simracing. Ou alors vous avez juste croisé leur nom dans un supermarché. Derrière cette marque, il y a une histoire assez dingue. Celle des frères Guillemot qui depuis bientôt 40 ans bâtissent un véritable empire vidéoludique.

Aujourd’hui, je vous propose qu’on fasse le point sur la marque Thrustmaster. Car ce n’est pas pour rien qu’elle est au sommet des ventes de matériel simracing depuis plus de 30 ans. J’ai découvert pas mal de choses inattendues pendant mes recherches et j’espère que j’arriverais à vous en faire découvrir à vous aussi 🙂

Les débuts américains de Thrustmaster

L’entreprise est créée en 1990 à Hillsboro dans l’Oregon par des ingénieurs et des pilotes de l’U.S. Air Force, de la Navy, et de la NASA. Peu habituée aux affres de la création d’entreprise, l’équipe se fait épauler par Norm Winninstad. Un ingénieur qui a apporté son aide à la création de plusieurs grosses sociétés depuis les années 60.

En 1991 ils lancent les tout premiers HOTAS (joysticks). Le premier modèle est le Mark I Weapons Control System pour simulateurs de vol.

Un joystick qui peut sembler très rudimentaire aujourd’hui mais à l’époque c’est une révolution qu’apporte la marque dans l’univers de la simulation de vol.

Plusieurs modèles se suivent et la marque se fait connaître rapidement. Après tout ils sont les premiers sur le marché.

le tout premier hotas Thrustmaster

Puis, en 1994 ils entrent dans le monde de la simulation automobile avec leur tout premier volant. Le Formula T1 Driving Controls.

Et déjà on remarque que le modèle est très complet avec un shifter et un pédalier qui semble robuste.

La marque décolle littéralement et entre 1995 et 1998, Thrustmaster passe de 15 à 25M$ de ventes annuelles.

Le tout premier volant simracing de Thrustmaster

Et en 1999 une entreprise française, Guillemot Corporation Group rachète le nom Thrustmaster et la partie gaming de l’entreprise pour 15M$.

L’origine possible du nom Thrustmaster :
Les créateurs de la marque ne l’ont jamais dévoilé mais il y a une théorie du Youtubeur OC Racing qui semble solide. Souvenons-nous que la marque a été créée par des ingénieurs et des pilotes tous issus du monde de l’aéronautique.

En anglais Thrust signifie « poussée » et Master « maître ». Et dans l’univers aéronautique, la poussée est la force qui met un objet volant en mouvement.

L’entreprise se concentrait d’ailleurs exclusivement à la création de HOTAS pour les simulateurs de vol. Le nom Thrustmaster « Maitres de la poussée » prend donc tout son sens. Bien sûr il ne s’agit que d’une hypothèse.

Les frères Guillemot

Les frères Guillemot
Michel, Yves, Christian, Gérard et Claude Guillemot. Photo : Bloomberg

Claude, Christian, Yves, Michel et Gérard Guillemot ont grandi dans une entourés d’entrepreneurs. Leur famille est dans la distribution en gros de produits agricoles. A côté de leurs études ils travaillent à temps partiel dans l’entreprise familiale.

Soutenus par leur parents les cinq frères Guillemot lancent Guillemot informatique en 1984. La société vend du matériel informatique et des jeux vidéos introuvables en France. Dès leur deuxième année d’activité, ils fournissent les écoles françaises.

Puis arrivent les partenariats de distribution avec les grandes enseignes Auchan et Carrefour entre autres. L’entreprise prend encore une nouvelle dimension et sort des frontières de France en s’attaquant maintenant au marché européen.

Mais même si l’entreprise se développe, les frères Guillemot sont irrémédiablement attirés par un domaine en plein développement : le monde du jeu vidéo. Pour rappel, on est à l’époque du lancement des systèmes de jeu Commodore et Atari. C’est la préhistoire du jeu vidéo ,ils savent que ça va exploser, et ils veulent être de la partie.

C’est dans cette optique qu’en 1986, ils lancent une nouvelle entreprise que vous connaissez tous : UbiSoft !

Je suis pas sûr d’avoir à vous présenter cette entreprise. C’est aujourd’hui l’un des plus gros développeurs de jeux vidéo au monde.

Et comme vous pouvez le constater, ils avaient un Logo très caractéristique de l’époque 🙂 Logo qu’ils ont garde de 1986 à 1989.

Les frères Guillemot lancent UbiSoft en 1986

Arrive l’année 1988, et là Guillemot a envie de créer ses propres périphériques de jeu. En 90, ils sortent leurs premiers modèles estampillés « Guillemot ». Et dans le même temps ils deviennent distributeurs exclusifs de Soundblaster qui crée des cartes son et d’un certain Thrustmaster.

Le monde vidéoludique évolue à vitesse folle

Arrivent tout un tas de développement, on a les disquettes, puis les CD Roms. Les premiers graphismes 3D, les premières consoles qui débarquent… Au début des années 90, le monde du jeu vidéo évolue à une vitesse de malade. Guillemot lance la gamme Maxi Sound qui devient l’un des plus gros concurrents de Soundblaster. Évidemment leur contrat de distribution s’est arrêté net.

La compagnie commence aussi à créer des manettes de jeu, des volants, des joysticks… Même de la carte graphique ! Vous avez compris le projet ? Ils veulent dominer être présents sur tous les fronts qui comptent et se faire un nom.

Rachat de Thrustmaster et développement de l’empire Guillemot

Les années passent et en 1998, Guillermo Corporation est introduit à la bourse de Paris. L’entreprise est concrètement instoppable et attaque le marché d’Amérique du Nord en installant un centre de recherche et développement à Montréal. Le truc, c’est que le nom Guillemot en Amérique ça marche pas vraiment. Personne connait et c’est chiant à prononcer pour un anglophone.

Mais c’est pas grave parce qu’en juillet 1999 ils ont levé des fonds pour acheter le nom ET la branche périphériques de jeu de Thrustmaster. Et en décembre de la même année ils achètent la société Hercules qui fait de la carte graphique. Parce que bon, pourquoi pas hein ?

Mais comme ça suffisait pas, toujours en 1999, ils lancent le studio Gameloft. Si vous connaissez pas, Gameloft c’est l’un des géants leaders des jeux sur mobile… Ils étaient les premiers à envoyer des applications de jeux sur l’App Store d’Apple en 2008.

C’est vraiment à partir de là que les choses vont s’accélérer pour Thrustmaster.

Dès 1999, ils sortent la réplique sous licence du volant de la Ferrari 360 Modena.

Ils sortent même une version Pro avec un shifter intégré.

Et puis en avril 2000, les frères Guillemot jouent un coup de maître (oui encore un). La société Gameloft rachète 80% de L’Odyssée Interactive. Ca ne vous dit rien ?? C’est la société éditrice de JeuxVideo.com, le plus gros site d’actualité vidéoludique francophone.

STOP !

J’aimerais qu’on prenne deux secondes pour y penser quand même. Ca veut dire qu’à partir de ce moment là, les frères Guillemot possèdent :

  • La plus grosse marque de périphériques de jeux
  • L’un des plus gros studio de développement de jeux au monde
  • L’un des plus gros studio de développement d’appli de jeux au monde
  • Des entrées dans tout l’univers informatique avec les cartes graphiques et cartes son
  • Le plus gros site d’info jeu vidéo francophone
  • 2 bureaux de recherche et développement sur 2 continents
  • Un réseau de distribution mondial et leurs produits dans les grandes surfaces.

Est-ce que c’est clair qu’ils ont gagné ou pas ? Je vous laisse méditer sur toutes les ramifications et toutes les opportunités qu’on a quand on a ce genre de cartes en main. C’est vraiment incroyable ce qu’ils ont créé et d’un point de vue entrepreneurial c’est juste magistral. Chapeau bas.

Bien sûr, le développement ne s’arrête jamais. Alors en 2001 ils obtiennent la licence Xbox.

Et puis 2002 ils sortent le tout premier volant type F1 sous licence Ferrari inspiré par le volant de Michael Schumacher. Avec Retour de Force, s’il vous plaît !

La licence Gran Turismo : le ticket d’or du simracing

Parmi les concurrents de Thrustmaster et donc de la famille Guillemot, on retrouve Logitech et Fanatec. Et si les allemands de Fanatec ne s’attaquent pas vraiment à la même clientèle, chez Logitech par contre c’est une autre histoire.

Et ce qui est ennuyeux, c’est que depuis 2001, Logitech a la licence officielle Gran Turismo.

Ce qui signifie qu’elle profite d’un énorme bénéfice en terme de marketing puisque Gran Turismo est déjà au sommet de sa gloire parmi les passionnés de sport auto.

Qu’à cela ne tienne ! Thrustmaster arrive à récupérer la licence au nez et à la barbe de Logitech en 2011.

Gran Turismo

C’est une victoire qui va marquer un tournant dans l’histoire de la marque. Surtout que pour l’occasion, ils ont préparé un nouveau volant qui va marquer sa génération !

Le modèle qui met des claques

Sort le T500. (Dont le test est accessible ici)

Une puissance de retour de force inédite. Une belle précision du retour de force. Un pédalier T3PA Pro pour la version RS tout en métal et adaptable en GT ou Formula… Forcément c’est un carton.

D’autant que le T500 embarque le premier système de Quick Release qui permet de changer de roue de volant. L’écosystème s’agrandit avec le shifter TH8a qui sort quelques mois plus tard et la roue Ferrari F1 Wheel Add-on.

volant t500rs

Turbulences et carton plein

En 2015, le groupe Vivendi de Bolloré commence à acheter des actions Gameloft et UbiSoft. Bolloré a un projet : prendre le contrôle et mettre les deux entreprises sous la coupe de Vivendi. Malgré les efforts des frères Guillemot, Gameloft tombe aux mains de Vivendi en 2016.

Chez Thrustmaster, les nouvelles sont un peu meilleures. La marque sort un nouveau volant : le T300. Un modèle emblématique qui plus de 6 ans après sa sortie fait toujours partie des meilleurs produits pour nouveaux simracers.

Le Thrustmaster T300 en bref

Une base à courroie très aboutie en terme de retour de force. Quelques soucis de chauffe sur certains modèles mais concrètement, il reste aujourd’hui encore l’un des meilleur rapport qualité/prix du marché.

En 2017, c’est Sparco qui devient partenaire de la marque. L’écosystème est devenu très complet avec un frein à main, des roues de volant pour tous les styles. Des bases d’entrée et de millieu de gamme pour toutes les plateformes…

Ils sortent même en 2020 le pédalier T-LCM. Leur tout premier pédalier avec avec frein à capteur Load Cell. Bref, tout semble aller comme sur des roulettes…

Fanatec renverse la table

Et puis en 2021 Thrustmaster s’est pris un camouflet (oui j’utilise ce mot, pas vous ?). La marque nous prépare un nouveau modèle sous licence Gran Turismo, le T-GT 2, proposé à 650€.

Sauf que c’est précisément à ce moment que Fanatec annonce la sortie du CSL DD. Le tout premier Direct Drive pas cher du simracing. Et quand je dis pas cher, c’est qu’en allant gratter sur les prix on peut se monter un petit setup Direct Drive au même prix voir à peine plus cher que le T-GT2 qui est sur une technologie à courroie.

Le Thrustmaster T-GT 2 en bref
Le T-GT 2 n’est pas un mauvais modèle en soi ! Mais sans réelle innovation technique et un retour de force à courroie, impossible de faire face au nouveau modèle Fanatec.
Le Fanatec CSL DD en bref
Tout est dit. Les allemands débarquent avec la technologie Direct Drive dans les tarifs milieu de gamme. C’est une révolution dans le monde du simracing. Et un succès instantané !

C’est d’autant plus regrettable que ça a surement aussi impacté le lancement de leur volant Ferrari SF1000. Sorti fin aout 2021, c’est le premier volant milieu de gamme avec un écran massif, des palettes d’embrayage et une finition carbone.

Proposé à 400€, il venait mettre des taquets à tous les modèles concurrents du marché.

Et pour enfoncer le clou dans la foulée, Fanatec annonce publiquement qu’ils signent avec Gran Turismo pour sortir le GT DD Pro, une version Playstation du CSL DD avec une roue conçue par Polyphony. Donc là, en clair, les allemands viennent mettre des gifles à Thrustmaster sur leur propre terrain. Avec ces annonces, vendre le T-GT2 ça devient un poil plus complexe.

Mais Thrustmaster a toujours un avantage ! Leur nom est mondialement connu de tous, même sans y connaitre grand chose au simracing, tout le monde est déjà passé à côté d’un carton estampillé Thrustmaster dans un magasin. Et surtout ils ont un réseau de distribution qui est foutrement plus puissant que celui de Fanatec. Donc c’est pas irréparable, par contre il va falloir agir très vite.

L’erreur marketing

Dans la précipitation, y’a une campagne marketing qui est lancée sur les réseaux sociaux de Thrustmaster et qui annonce l’arrivée prochaine d’un Direct Drive. Tous les deux mois, Thrustmaster nous fait le coup de nous envoyer une photo énigmatique avec un petit mot pour nous faire “saliver”. Mais les réactions à cette campagne n’ont pas été tendres du tout de la part des fans.

Thrustmaster Direct Drive date de sortie

Je ne suis pas certain que cette campagne leur ait causé beaucoup de tort à long terme, par contre elle n’aura pas du tout eu l’effet voulu. Elle n’était pas mémorable et tout le monde est passé à autre chose en quelques jours. Et le « autre chose » en question, c’est Fanatec.

On devrait enfin avoir l’annonce de ce nouveau Direct Drive d’ici la fin d’année 2022. Et je peux vous dire que j’ai hâte de savoir ce que Thrustmaster aura réussi à créer pour contrer Fanatec. En sachant que Logitech prépare aussi en douce son Direct Drive mais ça on y reviendra plus tard.

Les défis que les frères Guillemot vont relever

J’ai hâte de voir ce que Thrustmaster sera capable d’apporter comme innovations sur son Direct Drive. Ils ont un écosystème complet, une communauté de fans incroyable, un réseau de distribution immense. Sans oublier qu’ils ont les moyens d’envoyer le paquet niveau marketing.

Au fil de leurs aventures, les frères Guillemot ont prouver qu’ils avaient une intelligence rare. Quand les « petits malins » se contentent de copier et tout miser sur le marketing, Thrustmaster a toujours apporté des innovations pour les joueurs. Et je vais vous dire, je préfère 1.000 fois un intelligent qui se trompe qu’un malin qui réussit. Question de panache 😉

Ils ont un défi de taille face à eux et je suis certain que leurs centres de recherche et développement travaillent d’arrache pied pour y faire face. Parce que soyons réalistes, nombreux sont ceux qui les attendent au tournant.

Pour rester dans la course ils doivent déjà rester dans des tarifs convaincants. Obtenir un retour de force performant, puissant et précis. Parce que c’est pas tout de sortir des DD pas chers, encore faut-il qu’ils soient bons… On l’a vu avec la multitude de marques chinoises qui pullulent en ce moment.

Reconquérir des licences fortes pour rattraper Fanatec qui a maintenant Gran Turismo et Formula 1. Mais surtout, résoudre le casse tête du Quick Release !

Le défi du Quick Release

Je m’explique : Nombreux sont ceux qui râlent à propos des QR de Thrustmaster et Fanatec. Ils seraient dépassés, pas pratiques, trop vieux… Mais, mes chers amis, n’oubliez pas que Thrustmaster était le tout premier à apporter un QR sur un volant grand public. Evidemment après plus de 10 ans, des gars comme Simagic ou Moza peuvent arriver et d’entrée de jeu poser des QR plus pros. Une marque neuve peut le faire sans problème !

Le problème de Thrustmaster et de Fanatec, c’est qu’ils ont tout un écosystème et des centaine de milliers de joueurs déjà clients. Sortir une nouvelle base avec un QR neuf et incompatible avec les anciens, c’est se mettre à dos tous ceux qui ont acheté les anciennes roues de volant. Il faut donc trouver une solution tampon qui permette d’adapter les anciens QR sur les nouveaux.

Fanatec est en train de le faire tout doucement en ne proposant plus que des roues avec QR1 détachable justement pour que leurs clients soient de moins en moins nombreux avec les anciennes roues à QR fixes. Mais tout ça, ça prend du temps. Et j’ai hâte de voir comment le problème sera géré par Thrustmaster et les frères Guillemot.

Bon, on conclue ?

Ouf, je vais vous avouer que quand j’ai commencé mes recherches, je ne pensais pas que l’histoire de Guillemot me passionnerait autant. D’un point de vue entrepreneurial c’est impressionnant l’intelligence et le talent avec lequel ils ont poussé leurs entreprises au sommet de leurs arts.

J’espère que cette rétrospective vous aura plu. D’ailleurs si vous êtes arrivé jusqu’à la fin de cet article, il ne vous reste plus qu’à me dire ce que vous en avez pensé en commentaire. Je serais vraiment ravi d’échanger sur le sujet avec vous ! On se retrouve juste en dessous 🙂

2 Commentaires
  1. Bonjour,
    Merci pour cet article, très intéressant, très bonne remarque, je susi aussi curieux de voir ce que vas proposer la.marque et surtout quel stratégie elle vas adopter concernant le quick release.

    • Merci beaucoup pour ce retour 🙂 la fin d’année va être décisive pour la marque, ça promet encore beaucoup de rebondissements dans l’univers du simracing ^^

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